La plupart des gens ont déjà entendu parler du principe d’une maison autonome : tout de suite, on pense aux panneaux solaires, à l’énergie renouvelable, à une cabane en bois, à l’auto-consommation, aux filtres à eau etc. Mais ce qui est moins connu, c’est le parcours de vie de Patrick et Brigitte Baronnet, les précurseurs de ce mode de vie en France.

Un couple à contre-courant

Nous sommes en Mai 68 : Patrick bat le pavé parisien comme nombre de ses contemporains de 20 ans. Mais bizarrement, il ne ressent pas d’enthousiasme pour ce mouvement de foule. Plus tard, il comprendra : ces jeunes manifestants demandaient aux gouvernants de changer, alors que Patrick croit qu’au fond, c’est à chacun de se réformer.

Alors que les Trente Glorieuses battent leur plein et que beaucoup rêvent d’une vie aisée, Patrick et Brigitte font un choix qui détonne. A l’occasion d’une mutation professionnelle près de Châteaubriant, ils achètent une vieille maison entouré d’un petit jardin. C’est là qu’ils auront et élèveront leur 4 enfants.

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Patrick & Brigitte Baronnet © alterculteurs.net

Animés de fortes convictions écologiques, ils entreprennent non seulement de rénover leur logement sur le mode de l’écoconstruction, mais aussi d’adopter un style de vie particulièrement sobre et économe, en surveillant leurs consommations et leurs dépenses.


Cesser de subir, commencer à produire

Après avoir fait leurs calculs, ils investissent dans des panneaux photovoltaïques qui, couplés à des batteries, leur permettent de se couper du réseau EDF et de vivre ainsi plus en cohérence avec leur militantisme anti-nucléaire. Plus tard, à la faveur d’une rencontre providentielle avec l’inventeur Hugh Piggott, ils construisent une éolienne très simple efficace pour mieux passer les hivers faiblement ensoleillés mais assez venteux de Moisdon-la-Rivière.

Mais l’électricité n’est pas le seul bien dont les Baronnet ont voulu reprendre la maîtrise: au départ, la famille buvait l’eau d’un puit qu’ils avaient la chance d’avoir dans le jardin. Mais un jour, Patrick aperçoit le tracteur du voisin qui asperge massivement la terre d’un liquide chimique fort douteux. Impossible pour lui, dès lors, de donner cette eau à boire à ses enfants. Ils fabriquent donc un système de récupération de l’eau de pluie qui est d’abord débarrassée de ses saletés puis minéralisée grâce aux interactions entre cette eau et les parois en béton des cuves la contenant (pas de filtre à eau, qu’il faudrait remplacer régulièrement, mais un système astucieux de stockage de l’eau). Mais là aussi, comme pour l’électricité, pas question de gâcher l’eau: d’où une réduction impérative des consommations d’eau, notamment grâce aux toilettes sèches.

Dans le même élan d’autonomie, les Baronnet ont mis en place un chauffe-eau solaire, des serres et un jardin potager, un compost, une phytoépuration…Mais ne leur parlez pas d’autarcie ! Ce que Patrick et Brigitte promeuvent, ce n’est pas de vivre reclus, coupé du monde, ni de rejeter la société, mais plutôt de reprendre la maîtrise de sa vie, en mettant en place les conditions d’une vie cohérente avec ses valeurs et ses croyances. Et en étant heureux, surtout !

Chose hallucinante pour beaucoup : avec ce mode de vie sobre et autonome, les Baronnet ont réussi à vivre de nombreuses années à 6, sans manquer de rien, avec un demi-salaire de professeur de sport… Comme dit Patrick : à quoi bon perdre sa vie à la gagner en faisant des choses qui nous aliènent, alors qu’on peut choisir un autre équilibre?


Ni ingénieurs ni maçons, et pourtant…

Contrairement à ce qu’on pourrait supposer quand on les écoute expliquer leur habitat, Patrick et Brigitte ne sont pas ingénieurs ou architectes, mais respectivement professeurs de sport/yoga et de musique! Leurs connaissances techniques, ils les ont acquises sur des années, en faisant, et en se passionnant pour les outils leur permettant de réaliser leur rêve d’autonomie.

Mais le point le plus intéressant, c’est sans doute la construction de deux logements à côté de chez eux : la maison 3E et l’Habiterre.

La maison 3E (Ecologie, Economie, Entraide) est née d’une indignation contre l’idée que l’écologie était un luxe réservé aux gens aisés. Patrick et Brigitte entreprennent donc d’autoconstruire cette maison en bois, paille et terre crue de 70m² habitable pour un budget matériaux de 25 000€ ! Pari tenu, en moins d’un an, grâce aux chantiers participatifs, à la récup’, aux coups de main, à l’utilisation de ressources exclusivement locales et naturelles (bois, paille, terre, pierres)… Bien-sûr, avec ce budget, il n’est sans doute pas possible de construire une maison passive. En effet, sans aucun pont thermique et parfaitement étanche à l’air, une maison passive n’a besoin que de l’apport en chaleur des usagers et du soleil pour être confortable; exit le chauffage donc. Le choix des Baronnet s’appuie davantage sur le bon sens, une conception bioclimatique, et des matériaux simples (pas de ventilation double-flux ou de triple vitrage par exemple, nécessaires en construction passive) pour offrir un confort de vie tout à fait correct pour un investissement raisonnable.

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Habiterre © woofferespace.canalblog.com

L’Habiterre est inspiré par le même challenge, mais cette fois avec un budget de 10 000 €, ce qui a poussé à opter pour la forme géométrique d’une yourte de 35m².

Une révolution spirituelle

Au-delà des aspects techniques abordés par cet article, ce qui m’a sauté aux yeux en allant sur place, c’est que Patrick et Brigitte ont dû réaliser un grand travail sur eux-mêmes pour persévérer tout en sachant se remettre en cause parfois, pour communiquer entre eux et avec leurs voisins ou avec les pouvoirs publics sans violence, et pour se lier avec celles et ceux qui les ont rejoint dans l’aventure. Car c’est souvent par le PFH (ce Putain de Facteur Humain, dixit Patrick) que les projets de mode de vie alternatifs échouent : là où il y a des non-dits, des rapports de dominant-dominé, des relations viciées par des histoires de pouvoir, d’argent, d’affectivité blessée…

Enfin, mon sentiment après avoir visité leur éco-hameau (quelques personnes les ont rejoint ces dernières années), c’est que Patrick et Brigitte ont payé de leur personne pour démontrer qu’on pouvait, au 21ème siècle, vivre en famille dans un habitat durable, sainement et heureux, sans avoir besoin de connaissances techniques approfondies ni de gros capital de départ, mais simplement avec du bon sens, de la détermination, et une forme de foi. Car il en a fallu pour tenir bon quand tous disaient que c’était une folie, et quand les lois, les normes et les techniques connues contrariaient leur désir.